Le changement climatique est désormais une préoccupation majeure partout dans le monde (étude Pew Research janvier 2021). Si la prise de conscience de la fragilité de l’environnement est une bonne chose pour pousser les citoyens à s’engager dans une démarche vertueuse, il est des cas où les maux du monde vont être à l’origine de maux de l’âme.
Qu'est-ce que l'éco-anxiété?
L’éco-anxiété est un sentiment d’inquiétude majeur, en lien avec les changements climatique. Elle se manifeste notamment par des symptômes d’angoisse et d’insomnies en lien avec la crise climatique. Nombre d’entre nous sont concernés. Bien que reconnues aux Etats-Unis, elle ne l’est pas encore en France même si les lignes bougent, notamment grâce au travail de Charline SCHMERBER, psychologue, qui prèfère d’ailleurs l’utilisation du terme « solastalgie ».
Et la solastalgie?
La solastalgie est un concept utilisé pour la première fois par le philosophe de environnement Glenn Albrecht en 2003 ayant fait le constat que la santé mentale de nombreux habitants était directement liée à la dégradation de leur environnement. Le néologisme, faisant référence à la nostalgie, est formé du latin « solacium » (le réconfort, le soulagement) auquel a été ajouté le suffixe grec « algia » (relatif à la douleur). La solastalgie correspond donc au ressenti émotionnel d’une personne ayant le mal du pays, sans en avoir bougé. La nostalgie du monde tel qu’il était avant.
Sur le site http://www.solastalgie.fr/ Charline SCHMERBER décrit un ensemble de symptômes ressentis par les personnes atteintes de solastalgie :
Le sentiment d’impuissance : « face au désastre écologique de la planète je me sens complètement dépassé(e), que puis-je faire ? » « comment agir aujourd’hui s’il n’est plus possible d’inverser la tendance de l’état de la planète ? »
Le sentiment de perte de contrôle : « quelle est la portée de mon action individuelle face à toutes ces dégradations collectives ? »
Le sentiment de perte de sens : « à quoi bon continuer de vivre si la terre va si mal et que tout est foutu ? »
La peur de l’avenir : « dans quel monde vont grandir mes enfants ? » « à quelles catastrophes vais-je assister de mon vivant ? »
La tristesse : « je ressens une peine immense face à l’état de la planète »
Le regret : « pourquoi avons-nous laissé le monde devenir ainsi ? »
Les troubles anxieux allant d’une anxiété chronique, à des attaques de panique, à des insomnies
Le questionnement autour du projet d’enfant : « si nous faisons un enfant aujourd’hui dans quel monde vivra-t-il demain ? »
Certaines personnes concernées ressentiront tous les symptômes, d’autres seulement certains.
Si nous prenons tous les temps d’y réfléchir, il paraitra évident à une grande majorité d’entre nous, que face à l’incontestable constat de l’accélération du changement climatique (Cf 6ème rapport du GIEC) cette réaction de détresse est normale. Comment alors aider ces personnes ? Quelles sont les spécificités de ce trouble en comparaison d’autres troubles anxieux ? Pour répondre à ces questions je vais devoir, le temps d’un article, rechausser mes lunettes de psychologue laissées au placard depuis un an.
Comment s'en sortir ou aider une personne touchée?
En thérapie cognitive et comportementale (que j’ai donc exercé pendant plusieurs années) l’anxiété généralisée, décrite par un sentiment d’inquiétude excessif en lien avec divers sujets, est traitée (entre-autre) par l’exposition et l’habituation aux stimulus anxieux.
L’objectif est d’aider le patient à s’habituer à ce stimulus, constater qu’il n’est pas forcément lié à un réel danger et ainsi diminuer l’anxiété. Prenons un exemple. Une maman anxieuse dont l’enfant rentre en sixième et doit prendre le bus seul (mais non ce n’est pas moi ah ah !!). La première fois, la maman va être très anxieuse et s’imaginer le pire, elle va demander à son enfant de lui envoyer des messages une fois arrivé à l’arrêt de bus, une fois rentré dans le bus, une fois sorti du bus, une fois arrivé au collège… Même si ces messages la rassurent sur le moment ils ne font qu’entretenir son anxiété (et au passage celle de l’enfant). La solution sera alors de supprimer (progressivement) les messages.
La première fois que l’enfant se rendra au collège sans confirmer son arrivée à sa mère, l’angoisse risque d’être élevée (elle sera alors exposée à son stimulus anxieux). Cependant, la maman constatera que tout s’est bien passé et pourra relativiser le danger. Elle renouvellera l'expérience le lendemain, et le surlendemain, voyant son anxiété diminuer au fil du temps (= habituation). L’anxiété ne disparaitra peut-être pas totalement, mais ne sera plus excessive et atteindra un niveau permettant un fonctionnement normal.
Dans le cadre d’une détresse liée au changement climatique, il parait impossible de relativiser le danger et de s’y exposer pour s’y habituer. Comment aider ces personnes alors ?
Tout d’abord en accueillant et validant leurs émotions négatives en lien avec la crise climatique, sans chercher à expliquer ces réactions émotionnelles par d’autres causes personnelles. Il est important de normaliser ces émotions et de guider la personne vers l’acceptation. Comme j’avais l’habitude de l’expliquer à mes patients, je tiens à préciser ici que l’acceptation d’une émotion (ou d’un événement) ne signifie pas s’en satisfaire, mais plutôt prendre conscience que les choses sont ainsi et « faire avec ». Une fois l’émotion acceptée, la personne pourra alors être encouragée à l’action, « faire quelque chose » de ces émotions, afin de ne pas rester figé dans un état de détresse majeur. Ainsi, en faisant quelque chose "maintenant", la personne est ancrée dans le présent et évite de regarder de façon anxieuse vers l'avenir.
Afin de pouvoir « faire quelque chose » de ces émotions négative, il sera important de prendre conscience, comme l’explique Charline SCHMERBER de la différence entre la fin DU monde et la fin d’UN monde. En effet, il est certain que le monde tel que nous l’avons connu a changé, change et changera. Gardons à l'esprit cependant que le changement peut aussi être positif et que nous pouvons être acteur de ce changement.
Dans la plupart des cas la personne s’engagera dans une action positive en faveur de l’environnement. Cela passera pour certains par un engagement associatif afin de sensibiliser d’autres personnes aux questions liées au changement climatique, pour d’autres il s’agira de mettre en place des changements dans leur mode de vie et de consommations, d’autres encore s’engageront dans des projets de changements sociétaux. Il s’agira alors d’écrire de nouveaux récits (c’est-à-dire de nouveaux modèles), comme l’écrit Cyril DION dans son excellent essai Petit Manuel de résistance contemporaine.
S’inscrire dans une action de changement, quelle qu’elle soit, c’est faire preuve de résilience, transformer une émotion négative en une action positive qui sera à l’origine d’émotions positives.
Je prends un exemple volontairement simple pour faciliter la compréhension. Pendant des années j’ai été excédée par les déchets abandonnés dans la rue ou dans la nature. J’ai longtemps râlé allant parfois jusqu’à gâcher une balade à forêt et ne voir que les canettes et divers emballages sur mon chemin. Ainsi, alors que j'aurais pu rentrer détendue d’une sortie en famille, je revenais en colère et écœurée par ces gens sans aucun respect. Et puis un jour, j’ai pris une paire de gant, un sac en plastique, j’ai ramassé les déchets sur mon chemin. Ceci à été source d’une grande satisfaction. J’avais ainsi accepté la situation et transformé une émotion négative en action positive, elle-même à l’origine d’une émotion positive.
Bien entendu, il serait illusoire de penser qu’il suffit de s’engager dans une action positive, aussi importante soit-elle, pour faire disparaitre définitivement l’angoisse et les autres émotions négatives liées au changement climatique. Je vous parle en connaissances de cause, et même si j’essaie eu maximum de prendre les choses du côté de l’action et de me satisfaire au quotidien de tout ce que je mets en place, il m’arrive parfois de penser que ce n’est pas suffisant et d’être rattrapée par un sentiment d’impuissance. Il ne s’agit là que d’un retour en arrière passager qui est en fait une force où puiser ma motivation.
Même si l’éco-anxiété et la solastalgie ne sont pas tout à fait reconnues en France, les choses bougent, les thérapeutes s’intéressent de plus en plus à ces questions et un annuaire est en cours de construction par Charline SCHMERBER.
Outre l’aide thérapeutique, c’est l’action qui vous permettra de faire face à ces sentiments douloureux. N’hésitez pas à vous rapprocher d’une association par exemple. Si vous ne savez pas par où commencer vous pouvez aussi me contacter pour qu’ensemble nous y voyons plus clair !
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